"Je m’appelle Magda Metbas, je suis une survivante, mais à vrai dire bien moins survivante que les êtres magiques que j’ai rencontrés il y a peu. Je dis “magiques”, car ils me sont apparus comme dans un rêve et pourtant tous étaient bien réels. Je suis une anthropologue naufragée du 7 continent, le monde de nos restes plastiques, l’étendue de nos déchets, notre honte perdue au milieu des océans.

Il y a trois ans de cela, la mer me rejeta dans un espace méconnu, tandis qu’elle happa presque naturellement et sans effort notre bateau et mes dix compagnon·es d’infortune embarqué·es comme moi pour une mission scientifique. C’est en ce jour interminable, morbide, mais aussi hallucinatoire que ma vie changea pour toujours. Je fis pour la première fois la rencontre d’un peuple qui n’était jusqu’alors connu de personne. Il me fallut plusieurs jours, peut-être même quelques mois pour comprendre et accepter où j’étais et qui iels étaient. Après plusieurs hypothèses, toutes aussi irréalistes les unes que les autres : la mort et ses anges, un peuple venu d’ailleurs, des êtres de l’Atlantide tant recherchée, des survivant·es de l’Apocalypse ou encore des créatures imaginaires de Tolkien ou de Lewis Carroll, je dus me résigner à accepter que j’étais prise au piège et à la dérive au milieu de la société méconnue du 7 continent de plastique.

Il m’a fallu du temps pour réussir à revenir dans notre monde, deux longues années de survie et d’adaptation, les deux années les plus effrayantes et les plus enrichissantes de ma vie de femme et d’anthropologue. Un temps sans fin bercé au gré de la houle, des tempêtes et de l’océan placide et infini auquel j’ai dû m’adapter. Un temps pendant lequel j’ai appris, rencontré, analysé, photographié, enregistré, dessiné et écrit.

Je ne pouvais garder le secret ... En pensant à mon retour, il m’est apparu comme une évidence que je me devais de parler au monde de cette civilisation méconnue vivant sur une île de plastiques agglomérés, de cet îlot en perpétuel mouvement perdu au milieu de l’océan, du peuple qui m’a adoptée et accueillie. Ces gens extraordinaires ont su créer à partir de leurs identités multiples une société, un système politique ingénieux et novateur, créer des rites, des cérémonies, une hiérarchie sociale inattendue, une langue, et même un calendrier qui leur est propre. J’ai découvert avec elleux un système comme je n’en avais encore jamais étudié. Iels ont su s’adapter à un milieu hostile. Vivant dans le plastique, iels le transforment, l’utilisent pour manger, pour s’habiller, pour cultiver, pour leurs coiffes, leurs objets de culte, leurs habitats, ou encore leurs instruments de musique.

Iels recyclent ce que nous jetons sans scrupules. Certains pourraient y voir un espoir pour notre société autodestructrice et ravageuse, les prendre en exemple pour notre avenir, croire que nous pouvons continuer à tout jeter à l’eau sans se préoccuper des désastres écologiques et que nous nous adapterons, mais contrairement à ce que certains optimistes pourraient penser, iels ne vivent pas là par choix, ce sont des naufragé·es survivant·es, iels se battent contre de nombreuses maladies ou difformités dues à la pollution omniprésente. Iels se sont créé un monde, le plastique est leur monde, et même s’il est loin du nôtre, il en fait partie, comme une part sombre que nous refusons de voir.

Mon intention ici n’est pas seulement scientifique, c’est aussi pour moi une manière de vous faire découvrir un monde auquel on ne peut croire, et rendre réelle une aventure que je crois parfois encore être un rêve, une illusion, un instant de folie. Avec cette exposition, vous allez découvrir quelques-uns des objets que j’ai pu ramener de ce voyage hors du temps, ainsi que des extraits de mes nombreux écrits qui maintes fois m’ont permis de m’accrocher à la réalité."

Magda Metbas